Boris est un psychiatre renommé dont les écrits font référence : article un peu long et certains passages un peu ardus : MAIS permet de mieux comprendre certains comportements et surtout jette un regard critique sur nos comportements humains . A LIRE
Boris Cyrulnik : "On va être obligé de changer et de repenser toute la civilisation"
Au micro de Claire Servajean, dans l'émission
"Une semaine en France", le neuropsychiatre Boris Cyrulnik interroge
notre modèle de développement sous le prisme de la crise sanitaire actuelle.
Une épreuve qui révèle, plus que jamais auparavant, les paradoxes de notre
civilisation.
C'est peut-être devenu son principal objet de
recherche, celui qui conditionne tous ses autres travaux. Dans son dernier
livre, Des âmes et des saisons. Psycho-écologie (Odile Jacob),
comme dans l'ensemble de son œuvre, le neuropsychiatre, Boris
Cyrulnik, se demande comment soigner les âmes. Il a exploré toutes les
approches possibles, passant successivement par la psychologie, la neurologie,
la psychiatrie, la psychanalyse, mais aussi l'éthologie humaine, pour ne citer
qu'elles.
Maintenant, on va être obligé de changer et de repenser toute la
civilisation
- "Nous
sommes victimes de nos victoires"
Si la condition humaine se forge aussitôt dans le
monde de l'artifice, il faut bien avoir en tête qu'avant d'arriver à la parole,
nous avons tous été des bébés aquatiques pendant neuf mois. Nous avons toutes
et tous été des mammifères aquatiques. Puis quand nous sommes arrivés au monde,
nous sommes devenus des mammifères aériens. À partir de là, on a perfectionné
les deux caractéristiques de la condition humaine : l'outil (la
technologie) et le verbe (les récits, la philosophie).
On a été tellement loin qu'on a oublié qu'on n'était qu'un simple morceau
de nature, qu'on dépendait de la nature et que, si on abimait la nature, on
s'abimerait avec.
- "Une
course au bonheur" qui nuit à notre environnement
Vivre dans un paradis terrestre n'est pas forcément un
gage de bonheur :
"Ce qui nous rend heureux, en tant qu'humains,
c'est le bien-être, c'est le triomphe contre le malheur. C'est pour ça que les
jeunes s'imposent, pour beaucoup, des épreuves. Ils partent dans les ONG, ils
partent faire de la montagne… Et ils ont raison parce que, quand ils
reviennent, ils ont gagné leur estime de soi, ils sont confiants, ils ont
compris que d'autres sont malheureux, ils sont plus relationnels, ils
développent leur empathie, le respect de l'autre, l'art de vivre
ensemble.
Mais lorsqu'on cherche le bonheur à tout prix, on se
rend malheureux, car ce processus passe souvent par la consommation à tout
prix.
Cette recherche du bonheur ne peut pas donner sens à la vie.
- Une
approche de la mort qui nous rendrait aujourd'hui plus vulnérables
Dans les territoires géographiques où tout est à
portée de main, les hommes perdent d'une certaine manière le plaisir d'être
plus forts que la mort et se fragilisent quant à leur rapport à la
mort :
Ce qui donne force à la vie, c'est la lutte contre la mort.
"Une des caractéristiques de la civilisation, ce
sont les premières sépultures et le rapport à la mort qu'ont entretenu monsieur
et madame Néanderthal, monsieur et madame Cro-Magnon ; de même que les
Égyptiens de l'époque antique qui ont beaucoup plus construit pour les morts
que pour les vivants ; aussi les chrétiens qui ont longtemps embelli leurs
campagnes avec des chapelles et les villes avec des cathédrales.
La lutte contre la mort passait par un mécanisme mental qui consistait à se
représenter la mort comme un monde transcendant.
Un monde pour lequel on se contraignait à l'œuvre
d'art et à établir des relations correctes, plus qu'à des relations de
domination qui tendent à rendre les humains plus malheureux".
Plus l'isolement
social perdure plus il sera difficile de s'en remettre
- Du
besoin des autres pour se construire soi-même
La crise sanitaire et sociale inflige d'importantes
conséquences, depuis un an, sur la santé mentale des Français, y compris pour
des gens qui semblaient jusque-là à l'abri car l'absence plus longue de lien
social a fortement accentué les ressentis psychologiques. Le neuropsychiatre
précise que plus on attend, plus la résilience sera difficile :
"L'isolement sensoriel est une véritable
agression neurologique avant d'être une agression psychologique. On sait
maintenant que lorsqu'un être vivant est privé de l'altérité, son cerveau n'est
plus stimulé, et si ça dure trop longtemps, on voit apparaître des zones
d'atrophies cérébrales.
On a besoin des autres pour devenir soi-même. Notre tranquillisant naturel,
c'est une bonne relation, un bon lien
Ça veut dire que, actuellement, il n'y a plus de lien. Il y a un isolement sensoriel, un engourdissement devant les écrans, un arrêt de la pensée. De fait, on s'adapte à cette situation en s'engourdissant et on voit que les premiers à avoir craqué, ce sont celles et ceux qui, avant même l'apparition du virus, avaient déjà acquis les facteurs de vulnérabilité. Or, maintenant, on voit des gens qui ont acquis des facteurs de protection, et qui se mettent, eux aussi à leur tour, à craquer".
La crise actuelle est une expérimentation tragique qui montre à quel point
on a besoin des autres pour devenir soi même et être bien
- Plus la
crise dure, plus ce sera dur psychologiquement
Plus tôt on commence à se réadapter, plus la
résilience psychologique sera facile. En revanche :
Si on laisse les gens trop longtemps en isolement, il y aura des anomalies
cérébrales qui vont durer… Il faudra travailler beaucoup plus sur le long
terme.
Le choix entre
"vivre mieux" et "vivre une
dictature" ?
Déjà au micro de Claire Servajean, pendant le confinement, Boris Cyrulnik
avait affirmé qu'après le confinement "on aurait le choix entre vivre mieux
ou subir une dictature. Que le risque, après le chaos social et sanitaire
actuel serait de donner le pouvoir à un dictateur". Un
possibilité qui hante toujours ses esprits et qu'il a réaffirmé pour la seconde
fois : L'après confinement selon Boris Cyrulnik : "on aura
le choix entre vivre mieux ou subir une dictature"
On est vraiment à la croisée des chemins : ou bien il y a le chaos social et va survenir un escroc culturel qui va nous dire "Je suis votre sauveur, je sais comment il faut faire, donc votez pour moi". Soit dit en passant, vous remarquerez qu'un grand nombre de dictateurs et de régimes autoritaires ont été élus démocratiquement. C'est possible. Il y a des gens qui y pensent.
Mais il y a une autre voie : c'est la renaissance.
Après avoir fracassé notre économie, qu'est-ce qu'on
décide de faire ensuite ? On remet en place ce qui a provoqué la
catastrophe, ou on cherche à vivre autrement. Alors à ce moment-là, on pourra
vivre mieux. On a un choix. On est à la croisée des chemins."
Notre culture a perdu la boussole, nous naviguons à vue, bousculés par les
événements [...] Il nous faut reprendre un cap, car nous venons de comprendre
que l’homme n’est pas au-dessus de la nature, il est dans la nature
- Boris Cyrulnik, Des âmes et des saisons.
Psycho-écologie
Quand notre existence
dépend de la prise en compte de notre environnement
Boris Cyrulnik : "Pour la quête du bien-être
et la quête du bonheur, pendant longtemps, notre culture nous a fait croire
qu'on était au dessus de la nature et que l'homme devait dominer la nature.
C'est dans tous les textes sacrés de toutes les religions : l'homme doit
dominer les animaux, doit dominer les femmes, les enfants et les hommes faibles
et on a composé durant des millénaires avec cette représentation-là.
Ça rendait déjà très malheureux et, surtout, cela nous
a conduit à la catastrophe actuelle, car on se rend compte qu'on ne peut pas
impunément écraser les autres et qu'il faut respecter un ensemble pour que,
nous-mêmes, on soit bien heureux dans cet ensemble."
De la nécessité de
repenser notre civilisation
La civilisation a été trop loin. Par exemple, on
consomme beaucoup trop.
C'est la consommation qui a créé le virus
On circule beaucoup trop et beaucoup plus vite. Ce
sont les avions qui ont transporté le virus. Avant, c'étaient les bateaux.
Avant les bateaux, c'étaient les chameaux, même si ça allait moins vite.
Techniquement, le chameau moderne, c'est l'avion. Nous sommes allés beaucoup
trop loin, on (notre modèle culturel tel qu'il s'est développé) a fabriqué le
virus. On l'a transporté.
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